D’abord, il faut peut-être revenir à l’essentiel :
la stratégie, ce n’est pas un plan rigide, ni un jargon réservé à quelques initiés. Ce n’est pas non plus un document poussiéreux qu’on élabore dans un élan d’enthousiasme avant de l'oublier sur un serveur partagé.
La stratégie, dans sa définition la plus simple, c’est l’art de faire des choix.
Des choix éclairés. Des choix alignés. Des choix courageux.
Pas pour "battre" un concurrent.
Pas pour "performer" au sens financier.
Mais pour être plus pertinent, plus utile, plus juste dans l'action.
Dans une association, une école, une institution publique, se poser les questions stratégiques fondamentales – Pourquoi existons-nous ? Pour qui ? Avec quelles priorités ? – est au moins aussi vital que pour n'importe quelle entreprise. Peut-être même davantage, parce que l’enjeu est social, humain, collectif.
Si la stratégie est indispensable, c’est d’abord parce que le monde change. Et qu’il change vite.
Les besoins évoluent, les comportements aussi. Les publics deviennent plus exigeants, plus fragmentés, parfois plus méfiants. L’information circule différemment.
Penser qu’on peut continuer à agir "comme avant" sans ajuster sa trajectoire est une dangereuse illusion.
Dans les univers non-profit, cette mutation est particulièrement visible.
Il suffit de voir comment les usages numériques ont bouleversé les manières de communiquer avec les citoyens, comment les crises écologiques ou sociales imposent de nouveaux modes d’intervention, comment les attentes d’engagement des jeunes générations se transforment.
Sans une démarche stratégique pour écouter ces signaux, les organisations risquent de devenir peu à peu déconnectées de ceux qu’elles veulent servir.
C’est exactement ce qui a poussé la Southern New Hampshire University, aux États-Unis, à repenser son modèle.
Longtemps, elle avait abordé ses étudiants comme un public homogène. Jusqu’au jour où une question a tout changé : "Quel est le vrai besoin de ceux que nous servons ?"
Pas seulement "offrir des cours", mais permettre à un adulte salarié de 35 ans de décrocher un diplôme tout en élevant ses enfants.
Pas seulement "proposer une formation", mais lever les freins matériels, émotionnels, financiers qui empêchent de reprendre des études.
Ce petit changement de perspective a conduit à un repositionnement stratégique radical : accueil plus humain, accompagnement individualisé, parcours flexibles... Résultat : un bond spectaculaire dans l’efficacité et dans l’impact.
Ce que montre cet exemple, c’est que penser stratégiquement, c’est s’autoriser à écouter ce que ses publics vivent réellement, au lieu de projeter ce qu’on aimerait qu’ils soient.
Réfléchir à sa stratégie, ce n’est pas faire de la théorie. C’est s’outiller pour être plus pertinent, plus juste, plus impactant.
C’est aussi – et c’est peut-être ce qui manque le plus souvent – un moyen d'améliorer sa communication.
Dans un monde saturé d’informations, il ne suffit pas d'avoir une belle cause.
Il faut aussi savoir formuler son projet de manière lisible, mobilisante, adaptée aux habitudes d'information et de consommation des publics.
Beaucoup d’organisations peinent à sensibiliser, non par manque d'idées ou de projets solides, mais parce qu'elles parlent dans un langage qui n'atteint plus personne. Trop technique, trop institutionnel, pas assez incarné.
Une bonne stratégie éclaire naturellement la communication : elle clarifie qui on veut toucher, ce qu’on veut leur dire, comment leur parler de façon juste et efficace.
Il y a aussi un autre bénéfice fondamental à penser sa stratégie : celui de savoir prioriser.
Quand on est engagé dans une mission sociale ou publique, tout semble important. Chaque besoin appelle une réponse, chaque urgence paraît critique. Et à force de vouloir tout faire, on s’épuise, on dilue son énergie, on devient invisible.
La stratégie invite à faire des choix. À assumer qu’on ne peut pas être partout.
À dire "non" à certaines opportunités pour mieux dire "oui" à ce qui compte vraiment.
Ce n’est pas un luxe. C’est une question de survie organisationnelle et d'intégrité de la mission.
Enfin, la stratégie joue un rôle souvent sous-estimé : elle donne du sens collectif.
Dans des structures où les ressources humaines sont précieuses, où l'engagement repose beaucoup sur la motivation, il est crucial que chacun sache pourquoi il fait ce qu’il fait.
Pas seulement "parce qu’on a toujours fait comme ça", pas seulement "parce qu’on a besoin de nous", mais parce qu’on sait où l’on va.
Et que ce cap est partagé, compris, porté ensemble.
Une bonne stratégie n’est jamais un exercice solitaire d’experts enfermés dans un bureau. C’est un travail de clarification collective. C’est un récit commun qui permet d’aligner les énergies, d’impliquer les partenaires, de convaincre les financeurs.